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La face oubliée et lumineuse du réel

By 17 octobre 2016janvier 13th, 2021No Comments

L’édito de Jean-Claude GUILLEBAUD

Dans son billet paru dans Sud Ouest Dimanche le 16 octobre 2016, le journaliste et grand reporter Jean-Claude Guillebaud fait le lien entre l’esprit du film Demain et l’action que mène Reporters d’Espoirs depuis 2004.

Depuis un peu moins d’un an, un superbe documentaire circule comme une espérance dans la société civile et les réseaux associatifs. Réalisé par la comédienne Mélanie Laurent et le journaliste Cyril Dion, il ouvre une formidable fenêtre sur l’avenir. Intitulé « Demain », il propose une traversée du monde effectuée par une jeune équipe partie répertorier des raisons de reprendre goût à l’avenir.
Des États-Unis au Danemark, de l’Inde à l’Afrique, il raconte les initiatives, les combats et les innovations porteuses de solutions.
De très grands témoins, experts, philosophes, économistes, sont interrogés partout sur la planète. Ils redonnent toute leur légitimité à mille et une utopies réalisables. Mais la tonalité n’est jamais naïve. C’est aussi une charge implacable contre la folie contemporaine, l’agriculture productiviste, le pillage de la planète et l’avidité du système économique et financier dominant.
Ce « reportage » planétaire hors du commun aura innové jusque dans son financement. Ce dernier a été assuré en 2015 grâce à une campagne d’investissement participatif qui a réuni 10 266 donateurs, pour un total de 444 390 euros.
Sur le fond – mais sans invectives –, la politique ordinaire est ringardisée, le cynisme ambiant montré du doigt, la bêtise débusquée.
Des pensées minoritaires comme celle de Pierre Rabhi et de son mouvement Colibris sont privilégiées et mises en avant. Avec raison. J’ajouterai que l’ONG Reporters d’espoirs, dont j’ai eu la chance de présider le conseil d’orientation, trouve là l’illustration magnifique de son intuition initiale. Elle tenait en peu de mots : inciter les médias à diffuser – aussi – les bonnes nouvelles, au lieu d’être systématiquement catastrophistes.
Par vocation, en effet, le journalisme raconte jour après jour, et tente de comprendre, les tragédies du monde. Une logique structurelle l’incline à réserver son attention aux désastres qui habitent le monde : guerres, famines, querelles, séismes, épidémies…
Cette inclination fait de chaque reporter un préposé aux catastrophes. Les médias s’intéressent surtout aux trains qui déraillent et jamais à ceux qui sont à l’heure ; ils insistent sur les naufrages et négligent les navires qui parviennent à bon port ; ils parlent du terrorisme mais plus rarement du sang-froid des sociétés civiles.
Ainsi le journalisme est-il menacé par une forme d’hémiplégie.
Il privilégie la dimension la moins glorieuse du réel. Pour l’essentiel, le discours médiatique est attristé, voire alarmé. Il s’habille en noir. Or, la réalité, nous le savons, n’est jamais aussi sombre. Elle est faite d’ombres et de lumières. Elle mêle le pire au meilleur. Partout. Toujours. À n’insister que sur les ombres,
on ment par omission. Vieille question ! Cette infirmité désespérante n’est pas facile à corriger.
Qui veut insister sur les raisons d’être d’optimiste frôle le ridicule. En produisant un récit édifiant, moralisateur ou lénifiant, il ne fait qu’opposer à une erreur une image inversée de celle-ci ; il substitue à une omission une autre sorte d’oubli. Ce n’est pas ce moralisme-là, mais pas du tout, qu’entendent promouvoir
les initiatives qui fleurissent ici et là, et dont le film « Demain » est un superbe exemple. Plus sérieusement, il s’agit de s’intéresser intrépidement à l’autre dimension du réel : victoires sur la fatalité, engagements têtus, démarches de paix, réconciliations durables, prouesses de toutes sortes.
D’innombrables nouvelles, en effet, ne sont (presque) jamais rapportées, ni a fortiori mises en valeur. C’est à ce « trou », à ce « manque », qu’il faut s’intéresser. La face cachée du réel, la plus ensoleillée, mérite d’être prise en compte. L’enjeu est capital : promouvoir avec rigueur et obstination tout ce qui, mine de rien, permet aux sociétés humaines de tenir encore debout.

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